L’affaire Lungowe c. Vedanta en Zambie : vers une possible application du devoir de vigilance (duty of care) et de la responsabilité civile extraterritoriale par le juge britannique ?

Cette affaire a d’abord été jugée en 2016 puis en 2017 devant les tribunaux britanniques. Le litige fait suite à la pollution minière ayant causé des dommages environnementaux du fait des activités de la filiale zambienne Konkola Copper Mines Plc (KCM) appartenant à la société mère anglaise Vedanta Resources Plc.

Dans plusieurs pays, le législateur a adopté une réglementation sur le devoir de vigilance, en s’inscrivant ainsi dans la tendance mondiale qui vise à consacrer une responsabilité des entreprises, spécifiquement de toute société mère (multinationale) au regard des atteintes aux droits de l’homme et de l’environnement perpétrées par sa filiale étrangère. En France, le devoir de vigilance  est inscrit dans la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre. Cette loi impose la mise en œuvre d’un plan de vigilance raisonnable propres afin d’identifier les risques environnementaux et assurer la prévention des atteintes envers les droits de l’homme et de l’environnement  (art. L. 225-102-4 I. al. 3 du code de commerce) résultant des activités de la multinationale, de celles de ses filiales ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs. Actuellement, un recours est en préparation contre Total pour en faire une première mise en application de cette législation en France. En l’espèce, en 2015, les requérants zambiens ont intenté une action judiciaire contre la société mère anglaise et sa filiale zambienne, faisant valoir des dommages corporels, matériels en raison de la pollution environnementale causée par les rejets de la mine de cuivre.

Par la suite, en mai 2016, la Haute Cour anglaise a décidé que l’affaire pouvait être poursuivie contre l’entreprise Vedanta au Royaume-Uni (Lungowe & Ors v. Vedanta Resources Plc & Anor [2016] EWHC 975). Mais les défendeurs, la société mère anglaise et sa filiale zambienne, ont fait appel : leur recours a été rejeté par la cour d’appel en octobre 2017 par une décision accordants aux demandeurs zambiens de faire valoir leurs droits au Royaume-Uni (Lungowe et Al. v Vedanta Resources plc et Al. [2017] EWCA Civ 1528). Les deux sociétés minières ont de nouveau interjeté appel : des auditions des deux parties au procès ont eu lieu, les 15 et 16 janvier 2019, devant la Cour suprême. On doit noter que la seule question pendante devant le juge dans cette affaire, à ce stade de la procédure, était la question de savoir si les tribunaux anglais étaient compétents. La société mère défenderesse, Vedanta, affirme que la compétence juridictionnelle appartient à la Zambie. Au Royaume-Uni, le droit commun dispose que le tribunal peut étendre sa compétence juridictionnelle. A cet égard, la Cour d’appel a confirmé l’application de la règle sur la compétence prévue à l’article 6.37(3) de la section IV partie des règles de procédure civile (CPR).

Ici, les juridictions anglaises se sont déclarées compétentes, tant la Haute cour en 2016 que la Cour d’appel en 2017, pour juger cette affaire. L’affaire Lungowe v. Vedanta, toujours en instance, est potentiellement historique. En effet, l’arrêt rendu le 13 octobre 2017 par la Cour d’appel a confirmé la décision de la Haute Cour prononcé en 2016 d’accepter la compétence juridictionnelle en estimant que l’affaire pouvait être jugée par les tribunaux anglais, car il était suffisamment raisonnable de soutenir que la société mère britannique avait une obligation de diligence envers les demandeurs étrangers. Par conséquent, si la Cour suprême anglaise donne à son tour son accord pour que l’affaire soit entendue au Royaume-Uni, cela aura un impact majeur sur le cours des contentieux environnementaux dans le monde, notamment en ce qui concerne la responsabilité des multinationales vis-à-vis de leurs filiales et des populations victimes. Ce contentieux va constituer une étape cruciale dans le développement du droit de l’environnement en Afrique et en Europe. Rappelons enfin qu’au niveau international, un projet de traité international sur la responsabilité des multinationales envers les droits humains est en cours de préparation à l’ONU.

Par Chancia IVALA PLAINE | Spécialiste du droit de l’environnement

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