Le récent torrent de déchets plastiques qui s’est déversé dans le port de Durban en Afrique du sud suite à de fortes pluies, nous invite à questionner les stratégies de lutte contre la pollution plastique mise en œuvre par les gouvernements africains. En effet, la pollution plastique constitue une menace sérieuse pour l’environnement, la biodiversité, et a des conséquences néfastes sur la santé publique.
Quelles réponses juridiques sont apportées par les gouvernements africains face à ce désastre environnemental ?
Le plastique est néfaste pour la préservation de l’environnement. Selon la Banque africaine de développement (BAD) une grande partie des résidus plastique viennent polluer les océans. En 2018, la Journée mondiale de l’environnement des Nations Unies visait à sensibiliser à la lutte contre la pollution plastique dans le monde. Le Rwanda est le pays pionnier en la matière avec sa loi datant de 2008, mais c’est le Kenya qui a adopté une des législations la plus répressive. Selon un récent rapport de l’ONU publié en novembre 2018 sur la législation mondiale en matière de plastique, d’autres Etats africains ont mis en œuvre des normes visant à interdire la prolifération et l’utilisation du plastique. On compte à ce jour trente-quatre pays africains ayant adopté une législation contre la pollution de sacs plastique : la Tanzanie est la dernière sur cette liste. Une vingtaine d’Etats africains tels que l’Angola, la République centrafricaine, les Comores, l’Égypte le Libéria, la Libye, le Nigeria, les îles Sao Tomé-et-Principe sont à la traîne car ils réglementent uniquement l’élimination des plastiques au niveau national à travers le régime juridique des déchets solides et des ordures ménagères. La Guinée équatoriale, la Guinée, la Sierra Leone, la Somalie, le Sud Soudan, et le Soudan n’ont pas de loi nationale sur la gestion des déchets solides trouvés. Cet article vise à exposer le cadre juridique relatif à la lutte contre la pollution plastique dans le contexte africain qui est pour le moment construit autour de lois nationales.
En effet, la législation de chaque pays est construite autour d’une stratégie gouvernementale définie pour lutter contre la pollution plastique : le Rwanda est pionnier en matière de la lutte contre la pollution issue du plastique (I). D’autres Etats africains ont une législation plus pénalisante (l’Afrique du Sud, le Kenya et le Sénégal) (II). Dernièrement, la Tanzanie a mis en oeuvre un régime juridique en la matière (III). L’objectif de notre propos dans ce premier focus est de constater la multiplication des lois nationales en Afrique, particulièrement dans les Etats précités.
I/ La législation rwandaise, pionnière en matière de lutte contre la pollution plastique
Kigali fait partie des 10 villes les plus propres, selon un classement de l’ONU. Le gouvernement rwandais a lancé le mouvement « réforme du plastique en Afrique » en interdisant les sacs en plastique dès 2008. Le Rwanda a également réussi en créant l’agence environnementale « Rwanda Environmental Management Authority » (REMA) qui a lancé une campagne d’information importante. L’instauration de la loi n°57/2008 du 10 septembre 2008 relative à l’interdiction de fabrication, d’importation, d’utilisation et de vente de sacs en polyéthylène au Rwanda, a été une étape majeure. L’innovation de cette loi porte spécifiquement sur la définition donnée au sachet en plastique au regard de l’article 2 de ladite loi, qui est compris comme un matériel synthétique de faible densité, composé de plusieurs molécules chimiques simples appelé éthylène de formule chimique CH2=CH2. L’article 3 de la loi pose l’interdiction. Il dispose en effet que « la fabrication, l’utilisation, l’importation et la commercialisation des sachets en plastique sont interdites au Rwanda ».
L’article 7 traite des peines, et dispose que « quiconque agit à l’encontre des dispositions de la présente loi encourt les peines suivantes : les industries qui fabriquent les sachets en plastiques, les entreprises commerciales ou toute personne physique ayant dans leurs stocks des sachets en plastique interdits sans autorisation en les fabriquant ou en les utilisant, sont punis soit d’une peine d’emprisonnement soit d’une amende. Une amende de 10000 à 300 000 francs rwandais est retenue pour tout individu qui se livre à la vente de sachet en plastique.
Cette loi semble aujourd’hui être bien appliquée, en atteste, par exemple, l’échange de sacs en matière plastique qui sont remplacés contre d’autres élaborés en composants biodégradables à l’aéroport à Kigali. Dans cette région, les dirigeants étaient convaincus que la réussite de l’éradication des plastiques dans un pays, dépend de la volonté de tous les pays limitrophes de prendre la même décision. En appui à leur décision, ils ont institué des sanctions pécuniaires sous formes d’amendes. En effet, il est prévu que « le pays qui enfreint cette loi devra payer une amende de 50000 dollars américains en plus de sanctions limitées conçues pour dissuader les pays membres d’importer des substances dangereuses pour l’environnement ». L’exemple de la législation plastique au Rwanda a d’ailleurs fait école en Afrique de l’Est où le parlement de la Communauté Économique des pays de l’Afrique de l’Est, a adopté une loi en la matière.
II/ Les trois autres pays africains ayant institué des peines d’emprisonnement et amendes
L’Afrique du sud (a), le Kenya (b) et le Sénégal (c) ont des législations de lutte contre la pollution plastique qui nécessitent une brève analyse en terme de droit pénal.
a/ La législation sud-africaine
L’Afrique du Sud a adopté en 2003 une loi visant à prohiber les sacs en plastique de moins de 30 µm d’épaisseur et imposer une taxe écologique. Par conséquent, il est interdit de fabriquer, de faire du commerce et de la distribution commerciale de sacs en plastique produits et importés au pays. L’article 2 pose l’interdiction en ces termes : « La fabrication, le commerce et la distribution commerciale de sacs en plastique et de sacs plats en plastique produits et importés au pays, destinés à être utilisés en République d’Afrique du Sud, autres que ceux qui sont conformes aux paragraphes 4 et 5 du cahier des charges obligatoire, sont interdits. ». Des amendes sont prévues en cas de manquement aux exigences fixées par la loi et jusqu’à dix ans d’emprisonnement : « 1) Quiconque contrevient à la règle 2 est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration de culpabilité: a) d’une amende ou b) d’un emprisonnement maximal de 10 ans ou c) d’une amende et d’un tel emprisonnement ; et d) d’une amende ne dépassant pas le triple de la valeur commerciale de tout objet pour lequel l’infraction a été commise ».
b/ La législation kényane
Des réformes en la matières ont été initié, en 2007 et en 2011 sans succès, par le gouvernement kényan. Dans un avis au journal officiel du pays daté du 28 février 2017 (Avis de publication dans la Gazette n°2356), le secrétaire du Cabinet chargé de l’environnement et des ressources naturelles, Judi W. Wakhungu, a annoncé l’interdiction de l’utilisation, la fabrication et l’importation de tous les sacs en plastique utilisés à des fins commerciales et d’emballage domestique. Depuis août 2017, l’interdiction s’applique à deux catégories de sacs, d’une part, le sac de transport, un « sac construit avec des poignées et avec ou sans soufflets », et d’autre part le sac plat, un « sac construit sans poignées et avec ou sans soufflets ». Le Kenya a mis en place une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quatre ans ou une amende pouvant aller jusqu’à 40 000 USD pour les contrevenants. Soulignons également qu’en mai 2014, la ville de Nairobi s’est saisie d’un acte réglementaire, The Nairobi city county plastic carry bags control bill, visant à contrôler l’utilisation des sacs plastiques.
c/ La législation sénégalaise
La loi n°2015-09 du 4 mai 2015 vise l’interdiction de la production, de l’importation, de la détention, de la distribution, de l’utilisation de sachets plastiques de faible épaisseur et à la gestion rationnelle des déchets plastiques. Cette législation sénégalaise interdit non seulement la production et l’importation de sacs en plastique d’une épaisseur inférieure à 30 microns (article 2), mais également la possession et l’utilisation des sacs plastiques d’une épaisseur supérieure ou égale à 30 microns (article 3).
En cas d’infraction à la législation, les contrevenants pourraient être passibles d’une peine d’emprisonnement assortis d’amendes. Par exemple, la production ou fabrication de sachets plastiques en infraction aux dispositions de l’article 2 de la présente loi est punie d’une amende de 10 000 000 à 20 000 000 francs CFA et d’un emprisonnement de trois mois à six mois ou de l’une de ces deux peines seulement (article 10). L’importation sur le territoire national de sachets plastiques d’une épaisseur inférieure à 30 microns est une infraction douanière constatée, poursuivie et punie conformément aux dispositions du Code des Douanes (article 11). Est puni d’une amende de 10 000 à 30 000 francs CFA quiconque abandonne ou jette des déchets plastiques ailleurs que dans les points de collecte ou de reprise prévus à cet effet (article 14).
Les personnes morales sont responsables en cas d’infraction. Les peines encourues par les personnes morales auteurs de l’infraction sont punis soit d’une amende dont le taux maximum est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction, soit de la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus d’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, soit de la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui est le produit ou encore de l’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite soit par tout moyen de communication au public par voie électronique (article 16).
III/ La législation tanzanienne adoptée en mai 2019
La Tanzanie vient d’adopter une législation plastique publiée en vertu de l’avis gouvernemental n°394 du 17 mai 2019 vise à empêcher l’importation, l’exportation, la fabrication, la vente, le stockage, la fourniture et l’utilisation des sacs en plastique, quelle que soit leur épaisseur (article 4). Cette norme est entrée en vigueur le 1er juin 2019 (article 1er). Cette législation prévoit également l’interdiction de vendre ou d’offrir à la vente des marchandises emballées dans du plastique à moins que la nature de ces marchandises n’exige un emballage en plastique (article 6). Par ailleurs, après le 1er juin 2019 il est interdit à toute autorité compétente d’enregistrer ou de délivrer une licence ou un permis à toute personne qui a l’intention d’importer, d’exporter, de fabriquer ou de vendre des sacs de plastique doivent s’inscrire pour obtenir une licence ou un permis (article 7). Enfin, ce règlement impose des sanctions sévères aux individus et aux institutions qui seront reconnus coupables d’avoir enfreint le règlement. Par exemple, en vertu de l’article 8 a) des peines de prison et des amendes sont prévues. De même, la possession et l’usage peuvent entraîner des amendes allant jusqu’à 200000 shillings ou des peines d’emprisonnement allant jusqu’à sept jours, ou les deux (article 8 e)).
A ce jour, 34 pays africains qui ont mis en oeuvre une législation favorable à la lutter contre la pollution plastique :
Sous-régions africaines | Total des Etats de la sous-région ayant adopté une législation contre la pollution plastique | Année de l’adoption de la loi |
Afrique du Nord | 1 sur 5 Etat | Maroc (2015). |
Afrique de l’Ouest | 11 sur 16 Etats | Benin (2017), Burkina Faso (2014), Cap-Vert (2016), Côte d’Ivoire (loi 2014), Gambie (2015), Guinée Bissau (2013), Mali (2013), Mauritanie (2013), Niger (2013), Sénégal (2015), Togo (2011). |
Afrique Centrale | 4 sur 8 Etats | Cameroun (2012), Gabon (2010), République démocratique du Congo (2018), Tchad (1992). |
Afrique de l’Est | 13 sur 16 Etats | Burundi (2018), Djibouti (2016), Erythrée (2005), Kenya (2017), Madagascar (2017), Malawi (2015), Maurice (2006), Mozambique (2015), Ouganda (2018), Tanzanie (2019), Rwanda (2008), Seychelles (2017), Somaliland (2015). |
Afrique australe | 5 sur 8 Etats | Afrique du Sud (2003), Botswana (2018), Namibie (2018), Zambie (2009), Zimbabwe (2010). |
Dans ce premier focus de l’étude des législations nationales africaines relatives à la lutte contre le fléau du plastique, nous avons analysées les lois les plus significatives et innovantes en la matière. Le Rwanda est le pays chef de file du continent et de la région de l’Afrique de l’Est dans la prise de conscience de la menace plastique sur la santé et l’environnement. Le Sénégal, le Rwanda et le Kenya ne déméritent pas dans ce mouvement car leurs lois prévoient des peines d’emprisonnement et des amendes à toute personne physique ou morale qui contreviendrait à la nouvelle norme adoptée. Par conséquent, nous apporterons dans un second focus à venir des développements sur les autres mécanismes de lutte contre la pollution plastique mis en œuvre par d’autres Etats africains.
Par Chancia IVALA PLAINE | Spécialiste du droit de l’environnement
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