L’affaire Probo Koala en Côte d’Ivoire : de l’exportation illégale des déchets toxiques en Afrique et du difficile parcours judiciaire des victimes

Déchets toxiques (© Pixabay)

C’est l’occasion en cette fin d’année 2019 de revenir sur le procès dit Probo Koala, en analysant, d’une part, les apports juridiques retenus par le droit africain de l’environnement en matière de gestion des déchets toxiques (I), et d’autre part, en illustrant l’enjeu de la responsabilité sociale des entreprises dans ce procès contre la société Trafigura, relatif à la catastrophe écologique de 2006 (II). 

I. Le cadre juridique des déchets toxiques en droit africain

La convention de Bamako sur l’exportation de déchets dangereux en Afrique et la convention internationale sur les déchets dangereux sont les normes régissant le cadre du trafic des déchets toxiques.  Selon une étude intitulée « Holes in the Circular Economy: WEEE Leakage from Europe » de l’ONG Basel Action Network (BAN), les produits dangereux sont exportés de manière illégale à destination de certains pays africains. Depuis le milieu des années 2000,  des pays africains ont lancé un appel pour mettre fin à l’importation de produits électroniques contenant des composants dangereux exportés de façon illégale de l’Occident vers les pays africains de l’Ouest en particulier. La Convention de Bamako se préoccupe de l’interdiction d’importations sur le sol africain de déchets toxiques, sur le contrôle des mouvements transfrontières et la gestion des déchets produits en Afrique. La plupart des pays africains sont signataires tant de la Convention de Bâle que de  Bamako. Par ailleurs, la Convention de Bâle s’applique qu’aux déchets dits « dangereux » ou ceux susceptibles de l’être. 

Rappelons qu’en droit international, la Convention de Bâle est une première réponse à l’intérêt porté par la Communauté internationale à l’impact désastreux que les déchets dangereux peuvent avoir sur l’environnement, mais aussi sur la santé humaine. En son article 1 et ses annexes, la Convention de Bâle mentionne des déchets dangereux et par catégorie et par caractéristique: l’article 1er, renvoyant aux différentes annexes et au droit national en matière de gestion des déchets. En règle générale, un déchet dangereux désigne « une substance solide, liquide ou gazeuse, ou un mélange de telles substances qui, en  raison de sa quantité, de sa concentration, de sa composition chimique ou de ses caractéristiques, pourrait présenter un danger immédiat ou potentiel pour la santé humaine ou l’environnement si elle n’est pas correctement traitée, entreposée, transposée, éliminée ou gérée d’une autre manière ». Par conséquent et en vertu de l’article 9 de la Convention, un trafic illicite est défini comme tout mouvement transfrontière de déchets dangereux ou d’autres déchets. 

II. L’illustration de la responsabilité sociale des entreprises à travers la catastrophe environnementale du navire Probo Koala en Côte d’Ivoire

En août 2006, un bateau réservoir sous contrôle grec, mais battant pavillon panaméen, nommé «Probo Koala», a déchargé dans le port d’Abidjan l’équivalent de 12 conteneurs de déchets toxiques. Une entreprise locale ivoirienne mandatée par Trafigura, la «Compagnie Tommy», a déversé les déchets dans 18 sites différents autour d’Abidjan, près de zones densément peuplées, tuant quinze personnes et d’autres milliers de personnes ont eu leur santé affectée suite à cet évènement. L’importation de déchets toxiques à Abidjan contrevenait à l’une des exigences de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Rappelons que la Côte d’Ivoire a ratifié la Convention de Bâle en 1994. La convention impose le devoir d’assurer une élimination sûre, soit par l’État d’exportation, ou par l’État d’importation si le trafic illicite est réputé résulter de la conduite de l’importateur. Notons aussi qu’en vertu du droit international que la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Convention MARPOL) à l’article 11 j) énumère une liste des installations de réception des déchets dans chaque pays et que la Côte d’Ivoire n’en faisait pas partie. L’élimination des déchets relève des normes prévues par le règlement MARPOL III (1) (A) de l’annexe et du  5 de l’annexe MARPOL II qui exigent l’élimination des déchets dans une installation de réception appropriée. La société Trafigura a été poursuivie dans diverses juridictions (Côte d’Ivoire, France, Royaume-Uni, et Pays-Bas) pour les dommages environnementaux et de santé publique causé par le naufrage du navire Probo Koala à Abidjan.

Par conséquent, le Premier ministre ivoirien de l’époque avait créé une commission nationale d’enquête et le procureur de la République avait engagé des poursuites pour traduire les responsables en justice. Néanmoins, ce procès n’a pas eu de succès devant les juridictions car la société Trafigura a, en 2007, accepté de payer une amende de plusieurs millions de dollars. Soulignons aussi qu’une enquête réalisée par l’Organisation des Nations unies en 2009 a confirmé que le déversement de déchets toxiques de la société Trafigura à Abidjan par le navire Probo Koala a causé plusieurs décès et considérablement affecté la santé de milliers de personnes. En 2011 aux Pays-Bas, un tribunal néerlandais a déclaré l’entreprise Trafigura coupable d’avoir exporté illégalement des déchets des Pays-Bas, mais sans tenir compte des dommages causés en Côte d’Ivoire.

13 ans  plus tard les populations ivoiriennes affectées se battent toujours pour obtenir gain de cause !

Par Chancia IVALA PLAINE | Spécialiste du droit de l’environnement

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