Les recours en justice pour défendre le droit à l’eau en Afrique

La sécurité de l’eau, dans la mesure où elle se rapporte à l’accès et à la qualité, est peut-être plus certaine pour les personnes riches que pour les communautés défavorisées. C’est pour de telles raisons que le droit à l’eau consacré dans de nombreuses constitutions de pays africains pourrait être utile. Le droit à l’eau pourrait offrir aux vulnérables des opportunités de contester les décisions gouvernementales concernant les services d’eau fournis.

Malheureusement, il y a une absence en Afrique en général de décisions judiciaires sur l’application du droit à l’eau que ce soit en tant que droit spécifique ou en relation avec le droit à la santé, à la vie ou à un environnement sain. En effet, le rôle du juge national africain est crucial dans la mise en œuvre du droit à l’eau. Et, certaines juridictions africaines notamment celles de l’Afrique du Sud (I) et du Zimbabwe (II) ont permis l’émergence d’une application devant le juge africain du droit à l’eau en tant que droit spécifique reconnu par la Constitution.

I. Le contentieux exemplaire du droit à l’eau en Afrique du Sud

Les citoyens sud-africains ont réussi à utiliser les tribunaux pour garantir leur droit à l’eau. La législation sud-africaine permet aux gens de contester les décisions gouvernementales liées à l’approvisionnement en eau sur la base d’un droit fondamental à l’eau. Par conséquent, l’article 27 de la Constitution sud-africaine donne à chacun le droit d’accéder à une eau suffisante. La loi sur les services d’eau prescrit une quantité de 25 litres par personne et par jour comme norme minimale pour les services d’approvisionnement en eau de base (ou 6 kilolitres par ménage et par mois).

Tout d’abord, l’affaire Lindiwe Mazibuko contre la ville de Johannesburg1, la Cour constitutionnelle a souligné les obligations de l’État de respecter le droit d’accès à l’eau. Le litige de Mazibuko concernait une communauté résidant à Phiri, dans le quartier de Soweto. La communauté a contesté la politique de l’accès l’eau de la ville de Johannesburg. En 2009, la Cour constitutionnelle sud-africain a rejeté la requête, jugeant que les 50 litres demandés par personne et par jour n’étaient pas raisonnables. Cette décision ne concernait pas directement l’accès à l’eau, mais plutôt la quantité d’eau, mais elle a été largement critiquée parce que la Cour n’a pas pris en compte les besoins de la communauté. En effet, la Cour a rappelé qu’« Au moment où la Constitution a été adoptée, des millions de Sud-Africains n’avaient pas accès aux produits de première nécessité, y compris l’eau. Le but de l’enchâssement constitutionnel des droits sociaux et économiques était donc de garantir que l’État continue de prendre progressivement des mesures législatives et autres raisonnables pour réaliser progressivement les droits aux nécessités de base de la vie. ».

Puis, l’affaire ville du Cap contre Strümpher2 en est un second bon exemple. La requérante, la ville du Cap, avait été condamnée à rétablir les branchements d’eau qu’elle avait sommairement déconnectés en vertu de ses statuts et lois sur le recouvrement de créances. La Ville a soutenu qu’elle avait le pouvoir de couper l’approvisionnement en eau même en cas de différend3. En prononçant son jugement, la Cour d’appel a noté que la Ville du Cap avait « l’obligation constitutionnelle et statutaire de fournir de l’eau aux utilisateurs »4 et que les droits de l’intimé n’étaient pas simplement des droits personnels, mais étaient justifiés par des dispositions constitutionnelles et statutaires. Le tribunal a alors assimilé l’utilisation de l’eau par l’intimé à « un incident de possession de propriété » et l’ingérence de la Ville « s’apparentait à une privation de possession de propriété » qui, en l’espèce, justifiait une dépossession illégale5. Cette affaire démontre que le droit à l’eau est justiciable, mais que pour les personnes vivant dans des zones rurales, l’accès n’est pas directement garanti et les moyens de faire respecter leur droit constitutionnel à l’eau sont entravés par un manque de ressource financière.

II. Le droit à l’eau comme un droit constitutionnel au Zimbabwe

Les faits dans l’affaire Farai Mushoriwa v. City of Harare6 sont assez similaires à ceux de l’affaire Strümpher précitée. Le requérant, Mushoriwa, sollicitait un ordre définitif interdisant à la ville de Harare de couper l’eau sans ordonnance du tribunal et de rétablir l’approvisionnement en eau. Des questions ont été soulevées sur les implications de la décision au regard du droit de l’homme à l’eau inscrit à l’article 77 a) de la Constitution du Zimbabwe. Ladite Ville avait adressé au requérant une facture élevée relative aux services rendus pour l’approvisionnement en eau. Le requérant a contesté cela et a même joint la preuve que toutes les factures avaient été payées à temps7. La demanderesse a ensuite utilisé ses règlements administratifs, qui autorisaient le pouvoir discrétionnaire absolu de la ville de débrancher l’approvisionnement en eau de tout citoyen à volonté8. Dans sa décision, la Haute Cour a estimé que, parce que la constitution du Zimbabwe considère le droit à l’eau comme un droit fondamental, il ne serait pas « dans l’intérêt public qu’un conseil municipal puisse refuser à ses citoyens l’eau à volonté sans recourir à la loi et au tribunaux »9. Le juge ordonna au défendeur d’ouvrir l’approvisionnement en eau du requérant jusqu’à ce que le différend relatif aux factures d’eau soit réglé.

En somme, les jurisprudences examinées indiquent que s’il y a des avantages à constitutionnaliser le droit à l’eau en tant que droit fondamental en Afrique, les tribunaux africains sont toujours en mesure d’interpréter le droit à l’eau avec d’autres droits existants.

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Notes de bas de pages :

  1. Constitutional Court of South Africa, Lindiwe Mazibuko and Others v City of Johannesburg and Others,18th June 2010, CCT 39/09 [2009] ZACC 28.
  2. 207 Supreme Court of Appeal of South Africa, City of Cape Town v Strümpher, 30th March, 2012, [2012] ZASCA 54; 2012 4 SA.
  3. Ibid., para. 4.
  4. Ibid., para. 9.
  5. Ibid., paragraphe 19.
  6. High Court of Zimbabwe, Farai Mushoriwa v. City of Harare, 30th April 2014, HH 195-14 / HC 4266/13.
  7. Ibid., para. 2.
  8. Ibid., para. 3.
  9. Ibid., para. 6.

 

Par Chancia IVALA PLAINE | Juriste en droit de l’environnement

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